Ce blog présente l'ensemble des articles publiés par le journaliste Akram Belkaïd dans le mensuel L'Autre Journal (France) entre 1990 et 1992.

vendredi

6. "Paris air show", le regard de l'Amérique (Juillet-Août 1911)

.
_


France terre d’asile ? Pas pour les centaines d’Américains présents au salon du Bourget. L’Hexagone est un enfer. Guide de survie.


Jim D. quitte rarement son pays. Pourtant, tous les deux ans, il ne manque pas de venir à Paris pour le salon du Bourget. Ni touriste ni chasseur de pin’s, il est simplement l’employé d’une grande firme américaine dont l’activité est de vendre des produits sympathiques, tels que les avions de combat, les missiles et autres douceurs. Paris pour un US citizen est toujours un rêve. Les clichés vivent encore. Jim ne verra pourtant pas grand-chose. Son temps aura été partagé entre les réceptions, les stands et les démonstrations. Une quinzaine bien remplie dont lui et ses collègues tirent une grande fierté. Comment d’ailleurs ne pas être fier ?

Des carnets de commande qui se remplissent à nouveau et puis, surtout, quelque part le sentiment d’appartenir à un pays jamais autant adulé et admiré. Frissons de plaisir en voyant que le matériel de la « tempête du désert » est de loin celui qui attire le plus de monde. Bien sûr, les Français (jalousy of course) ont exigé que les autocollants provocateurs, qui vantent l’efficacité des armes sur le terrain, soient retirés. Dieu merci, les avions chasseurs ont pu garder les peintures rappelant le nombre de missions réussies. Dans les yeux de Jim un peu d’amusement au spectacle de ces gens agglutinés autour des barrières métalliques, se piétinant et s’insultant pour essayer d’approcher du fameux corbeau noir furtif, de toucher l’uniforme couleur désert du soldat de garde ou d’avoir un petit souvenir. Comme la photo de l’avion en mission avec, au dos, la signature du pilote.

Jim a raison d’être fier. Guerre du Golfe, contrats, money. Soulagé aussi car les consignes remises avant le départ des Etats-Unis l’avaient quelque peu inquiété. Pour le show, les compagnies américaines ont dans leur majorité remis à leurs employés qui se déplaçaient une brochure, parfois classée confidentielle, destinée à « minimiser tous les risques en énumérant les menaces qui pèsent sur chaque Américain se rendant au Bourget ». Notre ami qui habite New York, la ville la plus sûre du monde, sait, on le lui répète encore, qu’il n’est nulle part en sécurité, sauf dans son pays bien entendu. Il a donc lu la brochure et en a retenu jusqu’au plus petit détail. « Eviter les fonctionnaires et les hommes d’affaires français dont la spécialité est de soutirer aux agents américains le maximum d’informations technologiques et commerciales et cela en recourant à n’importe quel type de moyen y compris les invitations au restaurant et les fausses amitiés. »

Les attentats ? « le plus récent aurait eu lieu fin mai au Sacré-Cœur. » La brochure se veut pourtant rassurante car elle précise que l’attentat « ne peut être attribué au grand terrorisme et que les groupes activistes, qu’ils soient français ou palestiniens, sont calmes ». Jim évitera donc ses collègues français et Montmartre, mais « il devra se tenir au courant de l’actualité mondiale, en particulier celle relative au Moyen-Orient ». Concernant la guerre du Golfe et ses effets, le document va plus loin et tente même une analyse géopolitique. « Les possibilités d’attentats organisés par les sympathisants de Saddam existent. Il est cependant prouvé que ces groupes sont tous sous la domination syrienne, pays à la recherche d’une bonne image de marque et qui fera tout pour empêcher ce genre d’activité. » (…) L’Américain aura donc en tête que « malgré les efforts des Français, la sécurité sera un point critique car le Bourget est la cible idéale pour les ennemis ».

La situation en France et à Paris est aussi expliquée dans ce document. On y relève que la capitale et sa banlieue ont connu « beaucoup d’émeutes violentes dues à des Nords-Africains et que la possibilité d’en avoir une autour du Bourget est très grande au vu de la forte concentration de North African immigrants. » En cas de manifestation il est « impératif de ne pas s’en approcher et d’attendre que la police en ait le contrôle total. » Et le fun ? La nuit ? La vie ? La brochure rassure à nouveau. « Les crimes violents sont très rares à Paris. Pourtant les étrangers sont la cible favorite des pickpockets, des faux mendiants et autres marginaux. » Leurs lieux de prédilection ? « Le métro et les gares. » Pas question de jouer aux héros. « En cas d’attaque, il est préférable de coopérer plutôt que de lutter et de risquer sa vie. » Suis la description de la ruse favorite des pickpockets parisiens. « L’homme est à terre, ou feindra de s’évanouir devant vous. Ne jouez pas au bon Samaritain en essayant de le relever car votre portefeuille risque de disparaître à ce moment-là. Soyez vigilants et évitez les Halles, le Châtelet et Pigalle. Prenez un taxi, c’est là le moyen le plus sûr de se déplacer. » Qui l’eut cru ? Paris ville bien plus dangereuse que Washington ou Atlanta ! Chanceux ricains que l’on ne cesse de protéger. En cas de maladie, ils pourront même « s’adresser à l’hôpital américain, où l’ensemble du personnel parle anglais. »

Terminé le Bourget. Jim va rentrer chez lui. A la rentrée de nouveaux soucis. Le prochain salon aéronautique aura lieu à Dubaï en octobre. Que faire si un Bédouin à terre lui demande de le relever ?

Akram Belkaïd
L’Autre Journal, Juillet-Août 1991