La voiture a du mal à démarrer. Peut-être la batterie. Les nuits sont glaciales et le réveil difficile. J’aime pourtant commencer le travail très tôt. Sept heures du matin. La ville dort encore et les premiers clients n’ont pas la force de parler politique. Il fut une époque où je roulais de nuit, mais trop de collègues ont été agressés ces derniers temps. Alger des années 1990 est avant tout celle de l’insécurité. Parfois en sortant de la maison je me demande comment j’en suis arrivé à faire ce métier. Cinquante-six ans et taxieur. Non, ne cherchez pas ce mot dans le dictionnaire, c’est nous, Algériens, qui l’avons inventé. D’abord l’essence pour la journée. La station d’Hussein-Dey est déjà ouverte. Cent cinquante dinars le plein : le prix de l’essence vient d’augmenter et Ghozali a annoncé que ce n’était pas fini. Un jeune, quinze ans tout au plus, me propose de nettoyer le pare-brise. En le voyant faire c’est le désastre de l’Algérie qui me transperce les yeux et le cœur. Une génération sacrifiée. Celle qui n’a rien et qui risque de ne jamais rien avoir. Celle que l’on chasse de l’école parce que pas de place. Celle qui fume du haschich le soir en pensant à l’oiseau qui sort de sa cage, celle aussi qui terrorise les pharmaciens et s’évade en avalant des neuroleptiques.
Il prend son temps et je n’ose pas le brusquer. C’est un enfant des émeutes du 5 octobre 1988 pour qui le respect de l’Etat n’existe pas. Comment lui en vouloir ? Leur en vouloir ? Dans la rue ou ailleurs, le regard pour l’aîné est dur, haineux. Reproches inconscients et base militante idéale pour le FIS (Front islamique du salut). « Alors El Hadj, tu as vu ? Ils nous encore menti hein ? Le FIS a gagné les élections et ces chiens ont éteint la lumière. » Je souris. Il y a quelques années, dans un match contre la Libye à Tripoli, les projecteurs du stade avaient été éteints et le terrain envahi quand l’Algérie menait. Depuis, éteindre la lumière veut dire être mauvais joueur, ne pas accepter la défaite. Mon sourire muet l’agace un peu. Paroles tranchantes : « De toutes les façons c’est pas fini ! Tu vas voir ! Hachani va appeler au Djihad et ils vont même être obligés de libérer les cheikhs qui sont en prison. De toutes les façons on a déjà gagné parce que Chadli est parti… »
Ne rien dire, le laisser croire à cette maigre victoire. Bientôt, demain, il comprendra. J’aurais aimé lui faire laver toute la voiture. Les grandes coupures d’eau n’ont pas encore commencé mais cela ne saurait tarder. La sécheresse est là et l’été sera brûlant… En remontant sur Belcourt je passe devant la petite école où nous avions voté pour le premier tour. Oubliée l’ambiance de fête. Les gens surexcités. Quelque chose de nouveau qui chassait une monotonie sans autres lueurs que la télé et « La roue de la fortune ». Emotion. Les choses peuvent paraître simples, mais rendez-vous compte. Pour la première fois nous allions avoir des élections pluralistes et propres. Tout le monde l’avait promis. Chadli, Ghozali et même l’armée. Tout cela après les votes truqués des Français et les 99% de oui, version parti unique. Et puis petit à petit les choses ont commencé à virer. Le résultat, le choc et l’inquiétude. Cent-quatre vingt huit sièges pour le FIS, pour qui la majorité absolue ne serait plus qu’une formalité au second tour. La déroute du FLN (Front de libération nationale, quinze sièges), et le nombre incroyable des abstentionnistes. On a beaucoup parlé d’eux et des raisons qui les ont motivés à rester chez eux. Dialogue avec mon voisin au lendemain du départ de Chadli.
« Tu vois que j’ai eu raison de ne pas voter. La preuve ! Un coup pour rien. Les militaires vont sûrement annuler le second tour et il ne te restera plus qu’à ranger ta carte. » Il a eu raison. Mais tout ne s’est pas fait en un seul temps. D’abord la démission forcée de Chadli, ensuite un incroyable imbroglio constitutionnel qui fait que personne ne peut le remplacer. Tour de passe-passe. Le Haut Conseil de Sécurité qui existait simplement pour que le président puisse parfois le consulter prend les choses en main. Evidence, l’armée est derrière tout ça puisque l’homme fort du Conseil est le général Nezzar. La suite est connue. Une présidence à cinq, l’arrivée de Boudiaf et l’inquiétude pour demain. Mais le premier drame reste que ces élections ont eu, elles aussi, leur cortège de fraudes et de trucages. Cartes détournées ou jamais envoyées, bulletins falsifiés, tout le monde a triché, chacun à sa manière. On a peut-être voulu aller trop vite. Qui sait ?
Place du 1er mai. Celle où le FIS s’est battu avec l’armée au mois de juin dernier. Un vendeur de pièces détachées. Grands trafiquants. L’ampoule de veilleuse que je cherche depuis des mois est introuvable mais j’ai de la chance car le disque d’embrayage est disponible. Dix fois plus cher que dans un magasin d’Etat et pas de facture. Vente au noir et au diable les impôts et les contrôles. Je suis réticent. « Si c’est trop cher pour toi, tu n’es pas obligé de le prendre khô ! (frère). On l’a ramené de France. Neuf, et pas de la casse. A sept dinars pour un franc, tu peux faire tes comptes. » Le Patron est FIS et de mauvaise humeur. Mais ce qui arrive à l’Algérie et à son parti n’empêche pas les affaires de continuer. On imagine souvent que les islamistes algériens sont pauvres et révoltés. Cliché simpliste et fausse vérité. Les petits et les grands marchands ou affairistes le sont souvent. Ils rêvent tous d’un pays sans impôts autre que la zakkat (aumône), et de l’ultralibéralisme promis par les cheikhs. Même Hachani, l’actuel numéro un du FIS, ne le cache pas : « Le libre commerce, le trabendo, ne mettent pas en péril l’activité économique du pays. Chacun doit être libre d’entreprendre… » Les syndicalistes, le FLN s’insurgent. Ils parlent d’économie de bazar et accusent les islamistes de vouloir transformer le pays en un gigantesque souk. Les jeunes n’en ont cure car pour eux le principe de vendre et d’acheter reste le plus attrayant.
Mon premier client est de ma génération. Chacun se pose la question de savoir à quel camp appartient l’autre. Une chose est certaine, il n’a pas voté FIS. « Vive l’armée ! Ce qui arrive est la meilleure des choses. Vous vous rendez compte où on allait ! Je préfère ça à la guerre civile. » L’arrivée au pouvoir du Haut Comité d’Etat, avec à sa tête Boudiaf, a soulagé la majorité silencieuse qui a parfois voté pour les islamistes et qui, une fois les résultats connus, a paniqué. Je lui parle démocratie, légalité. Il s’emporte. « Quelle est cette démocratie qui tue la démocratie ? Le FIS au pouvoir, c’est la fin des autres partis. C’est l’Iran ou le Soudan. Pas question de continuer comme ça ! ».
Hydra, le quartier des riches. La dame est très élégante. Ton autoritaire et direction Poirsson, un autre endroit huppé de la capitale. Regards qui se croisent dans le rétroviseur. Elle est détendue. La tempête est passée. « Nos deux voitures sont en panne, vous parlez d’une malchance… » Relent d’arrivisme, d’argent trop vite et trop facilement gagné. Parmi ceux qui ont eu peur que le FIS n’arrive au pouvoir, il y a ces vautours haïssables à qui nous devons, pour partie, le succès des islamistes. Peur pour la villa et les privilèges. Peur que demain des comptes ne soient demandés. Cette fois encore l’armée et les démocrates sont allés au feu pour eux. « Heureusement qu’on a l’armée. Ça fait longtemps qu’ils auraient dû chasser Chadli et arrêter cette mascarade. » Belle reconnaissance ! La preuve aussi que la démocratie n’a pas plu à tous. Cette fange, ce peuple qui parle ! Et l’armée que personne n’aime ira faire le sale boulot. Que dire à cette dame ? Aucune envie de raconter. Le maquis de 1954 à 1962. A l’intérieur, loin des planqués des frontières qui violeront l’indépendance. Mon grade de lieutenant en 1967 et mon drame. Mon mauvais choix. Zbiri, sa tentative de coup d’Etat. L’échec, le tribunal militaire, la prison. Ensuite la reconversion forcée dans le commerce et pour finir le taxi. Le directoire d’aujourd’hui a des relents d’années Boumediene. L’armée présente, qui règne dans l’ombre, surveille et déplace les pauvres pantins. Une seule devise : Le pouvoir !
« Enfin, j’espère que le gouvernement va avoir le temps de travailler et de nous sortir de la crise pour que les choses évoluent. » Evoluent pour qui ? Les petits ? Peut-être, mais méfiance. Trop de gens tiennent encore au système et le volontarisme de Ghozali risque d’être peu payant. Paroles d’un jeune cadre après l’arrivée de Boudiaf : « Le processus démocratique est stoppé. Ceux qui ont eu peur du FIS ont eu raison. Mais le plus triste c’est que c’est à cause de cette peur que le système va continuer à exister. Et puis les gens ne vont plus croire à la démocratie. »
Le lycée Hassiba. Ma fille y enseigne. Quinze jours sans aucune nouvelle d’elle. Souvenir pénible. Le lendemain de la grande marche des démocrates, dispute avec son mari. Les mots durs n’arrivent pas à être oubliés. J’ai parlé démocratie, espoir. Réponses terribles :
« - Il n’y a que le FFS (Front des forces socialistes) d’Aït-Ahmed qui pourra barrer le chemin au FIS !
- Mais comment, puisque ton parti n’a que vingt-cinq sièges contre cent quatre-vingt huit ?
- Je ne parle pas du vote, mais des montagnes qui nous appartiennent. Vous savez très bien que chez nous, tout le monde est en train de s’armer. Si ça barde, on décrète l’autonomie.
- Oui, mais dans cette marche il y avait quand même des gens qui simplement ne veulent pas qu’on leur confisque leurs libertés. »
Comment lui expliquer que ces revendications identitaires ont toujours faussé le débat quand la passion soufflait ? Une marche d’existence. Pour dire aux intégristes qui rêvent du Soudan qu’il faudra compter avec tous ces gens et que notre sang sera le prix à payer. « Ceux qui ont marché avec nous et qui ne sont pas du FFS avaient tous une idée derrière la tête. » Vérité. Le FFS a joué la carte des légalistes. Accord pour le second tour. Appels masqués à l’affrontement. Les communistes se déchaînent, suivis par des démocrates qui n’ont nulle honte de leur score ridicule. Même le patronat et les syndicats, pour une fois d’accord, sont de la partie. « Il faut annuler les élections… Il faut éradiquer la gangrène islamiste… Il faut… Il faut… ». Sans être islamiste, comment ne pas réagir ? Une stupide levée de boucliers qui n’a fait du bien… qu’au FIS. On a donné à penser à la majorité silencieuse qu’on voulait voler sa victoire au « parti de Dieu », qui n’avait dès lors même plus besoin de faire campagne. Et la situation actuelle ne va rien changer.
« Vous allez à l’hôtel El Djazaïr ? » Un journaliste étranger. Un vrai. Il me parle. Pose des questions. L’envie de lui poser les miennes. Guerre du Golfe ? Vos mensonges et votre racisme à peine masqués ? Et ces bêtises que vous débitez sur l’Algérie dans vos journaux. Mais il n’y a pire aveugle que celui ne veut pas voir. A ces gens-là il faudra toujours des clichés et du sang.
Bab-el-Oued. Le fief du FIS. Le soir de la démission de Chadli, les gens étaient abasourdis. Très peu de signes de joie. Une victoire à la Pyrrhus. Paroles d’un barbu amer. « Ils nous ont eu. Ils l’ont fait démissionner au moment où nous allions gagner. Rien de mieux pour remettre les compteurs à zéro. Il va falloir tout recommencer. » Recommencer ? Campagnes, slogans. Les rumeurs parlent d’affrontements possibles. De dissolution du FIS. J’ai peur pour demain. En démissionnant, Chadli a pris une décision historique. La balle est dans le camp des islamistes. Vont-ils attendre la chimérique élection présidentielle ou porter le feu dans la rue ?
J’achète mes journaux au hasard des courses. Le petit kiosque du Clos-Salambier croule sous les titres. Choix difficile. Trop de rédactions ont appelé, parfois sans s’en rendre compte, au sang. D’autres ont essayé, tentent encore, de préserver la paix civile, alors que certains tournaient déjà… la gandoura. Prêts à baiser les pieds des futurs maîtres de la République islamique. Les gens, inquiets, lisent de plus en plus. Dans la rue j’entends « Constitution », « garant de la souveraineté », « AFP ». Chaque crise a ses bons côtés. Les murs sont couverts d’affiches. Vestiges d’un premier tour oublié. Cinquante-six partis au départ ! Résultat : trois seulement existent. FIS, FFS, FLN. Les trois fronts. Derrière, les mentions passables et les rachats. Probables outsiders de demain. Long travail à accomplir. Les autres islamistes. Nahda parfois plus FIS que le FIS. Hamas ou l’islamisme souriant version costard-cravate. Quelques « démocrates » à qui il reste à apprendre que la rue attend qu’on lui parle. Et puis, dans les profondeurs du classement, ceux que l’on devrait interdire d’examen.
« Tu te rends compte ! Tout l’argent que ces gens-là ont dépensé alors que la ville tombe en ruine. Pas un seul député et ils osent encore nous ennuyer avec leurs communiqués. Tiens, il y en a un qui n’a même pas eu cent voix et qui veut être président de la République. » Mégalomanie. Avant, chaque Algérien faisait et défaisait dans ses rêves l’équipe de foot. Aujourd’hui, chacun gouverne… Et d’ailleurs quelle élection présidentielle ? Le Haut Comité d’Etat peut siéger jusqu’à la fin du mandat de Chadli. Ghozali a au moins deux ans pour gagner son pari.
La route de l’aéroport. Encore un barrage. Partout dans le pays, aux carrefours, sur les places, la présence de le la gendarmerie, de la police et de l’armée. Herses, kalachnikovs, contrôles. Parfois des blindés veillent. Un état de siège sans l’atmosphère inquiète et folle de juin 1991. Encore un PV. Pas d’essuie-glace droit. Expliquer qu’on me l’a volé l’avant-veille et que, de toute façon, il ne sert à rien est la pire chose à faire. Nervosité et balle au canon. « Ils prennent leur revanche ; surtout les hamma-loulou (les policiers en uniforme). » Le client est jeune. Un trabendiste qui va sûrement aller sur Damas ou Barcelone acheter des fripes qu’il revendra cent fois leur prix. Les nouveaux businessmen algériens. Son idole ? Ali Benhadj, le cheikh emprisonné à Blida. « Tu sais ya baba (mon père), moi je crois que la djabha (le Front) va appeler au djihad. C’est avec les armes et le sang qu’on aura la République islamique. Le vote, la démocratie… du khorti (mensonge), inventé par les gwars (Occidentaux). »
Terrible incertitude. La direction du FIS estime que le temps joue pour elle. Demain, dans deux ans, les responsables sont certains que les gens voteront la couleur verte. Pourtant, certains sont prêts à mourir. Eternel combat entre modérés et extrémistes. Sombre image. La base déborde la direction. La rue s’enflamme.
L’une des deux jeunes filles a le hidjab. Elle a voté FIS au grand dame de son amie qui l’accuse d’être aveugle et inconsciente. Les paroles de ma fille résonnent encore dans ma tête : « Bien sûr, le FIS ne te dérangera pas trop. Ce pays est déjà un pays d’hommes et il le sera encore plus. Mais moi ? Rentrer à la maison ? Cacher mon visage derrière une bâche noire ? Subir la morale à deux sous et ne pas sortir à cause du couvre-feu ? Et ma fille ? Ta petite-fille. Enfermés sa joie de vivre, son sourire ? » Vérité violente. Mais la conscience est parfois égoïste. Refoulement. Lâche abandon. Les deux clientes veulent aller à Riadh El Feth, le seul centre commercial de la capitale. A l’américaine. Don de Chadli que personne ne regrettera. Un pays à genoux. Les écoles détruites et l’éducation minée. La démocratie imposée par les morts d’Octobre et la haine du petit peuple. Paroles folles d’un imam pendant le ramadan : « ils seront tous jugés, y compris leur chef suprême… ».
L’homme n’a pas suffisamment d’argent. Trop chère la course. Les tarifs ont augmenté trois fois en un an. Il me parle du riz, de la farine et de la semoule qui manquent. De l’huile désormais hors de prix et du sucre à la couleur noire ? Que lui répondre ? Quel que soit le vainqueur de cette partie d’échec, il faudra penser à ceux qui, jour après jour, sombrent vers la pauvreté. Dieu merci ! Le policier ne m’a pas vu m’arrêter pour prendre cet autre client. Mais comment faire autrement ? Trop de monde et pas assez de bus. Dans les esprits, la situation politique encore et encore. « Moi j’ai rien compris. Hier c’était clair. Y avait le FIS d’un côté et le reste de l’autre. Aujourd’hui on nous ressort Boudiaf. Le FLN annonce qu’il est contre… le gouvernement. Et le FFS adopte la même position que le FIS. On est vraiment un pays de fous… ».
La victoire du FIS, la démission de Chadli et surtout l’intervention de l’armée ont mis bas les masques tout en déroutant la majorité. Le FLN ! Hier détesté, haï, car assimilé au pouvoir. L’occasion pour lui est unique. Chance de se démarquer de l’armée, de prouver que c’est elle qui a toujours gouverné et que le Front est désormais dans l’opposition. Grandes batailles en perspectives. « Dans l’opposition ? Ces ventres mous avec leurs cravates, leurs salaires scandaleux et leurs grosses voitures ! Mais ils ne sauront jamais ! ». Fin de journée. Je n’ai même pas eu le temps de manger. Conduire devient fatigant. Mais l’argent, toujours et encore. Aider mon fils dont le salaire d’architecte suffit à peine à le faire vivre. Aider…
La télé nous joue un vieil air. Les années 70. Chants patriotiques et images d’archives. Flash-back. 1956. Nous étions en repli dans les Aurès. Repos forcé en attendant les munitions et le bon vouloir de ceux de l’extérieur. La nouvelle de l’arrestation des cinq du FLN est tombée dans l’indifférence générale. Un fait comme les autres à peine commenté. La preuve que ceux qui nous dirigeaient chantaient déjà chacun son air en coulisse. Luttes d’influence. Envie de régner demain. Unanimité de façade qui préparait les maux de l’Algérie d’aujourd’hui. Souvenirs. La fureur du chef. « Personne ne les a mandatés pour aller voir le roi du Maroc. C’est à l’intérieur de décider. Ici les hommes meurent et eux ne pensent qu’à leur stature. »
Bouzareah. Immense bâtisse. Mon vieil ami du maquis n’est pas surpris de me voir. Colonel de l’armée de terre. Hier sous mes ordres sous le feu des Français, aujourd’hui maître dans l’ombre. Ma visite pour savoir. Comprendre. Quelques mots secs. Quelques phrases. « Il n’était pas question de laisser faire. L’armée en a assez de tirer sur les gens à cause des conneries de Chadli. Déjà en juin, j’étais d’avis de luis faire la peau. Te rends-tu compte ! Il était prêt à cohabiter avec le FIS et à signer leur lois. La guerre civile à coup sûr. Les montagnes kabyles qui s’enflamment, les démocrates qui bloquent la machine économique et les règlements de compte qui commencent. Même les élections étaient vérolées. Manipulations d’analphabètes et faux bulletins. Ghozali a désormais carte blanche pour faire démarrer le pays dans la bonne voie. »
Carte blanche… L’homme peut réussir. A moins que le système ne l’absorbe ou que les islamistes ne décident la guerre. Reste à savoir quel prix l’armée est prête à payer. L’Algérie ne sera jamais un pays comme les autres.
L'Autre Journal, Février 1992
Akram Belkaïd, à Alger
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